Tabac : En quoi le « paquet neutre » est-il une arme de communication plus dissuasive que les campagnes de prévention ?
Industriels du tabac et buralistes sont vent debout contre le projet de l’actuelle ministre de la Santé, Marisol Touraine, d’instaurer le principe du paquet de cigarettes vierge de tout logo et signes marketing d’ici 2016. Objectif : faire reculer significativement la consommation de tabac qui continue de tuer 6 millions de personnes dans le monde selon l’Organisation Mondiale de la Santé. L’initiative a effectivement de quoi rebuter la filière du tabac car elle constitue la négation même de la communication qui séduit et déclenche l’acte d’achat chez un consommateur. Explications.
Après moult campagnes de communication pour dissuader de fumer, d’interdiction de publicité dans les médias et quasiment autant d’augmentations du prix unitaire du paquet de cigarettes, le gouvernement français adopte une nouvelle tactique dans sa lutte contre le tabac : le principe du paquet neutre. Autrement dit, quasiment plus rien ne distingue nettement une marque de cigarette d’une autre. Taille, couleur et typographie sont totalement standardisées et accompagnées de photos dissuasives et de la mention « Fumer tue ». A ce jour, l’Australie est le seul pays à avoir mis ce concept en vigueur depuis 2012 avec des résultats probants à la clé en termes de recul du tabagisme.
De l’importance de la communication par le packaging
Devant l’offre pléthorique des produits, tous les marketeurs et communicants savent pertinemment que visibilité et différentiation sont des leviers cruciaux pour susciter l’envie et emporter l’adhésion du consommateur potentiel ou régulier. D’où un travail constant et de longue haleine que livrent les marques pour sans cesse rendre leur packaging attrayant, valorisant, amusant, iconique, etc. L’enjeu est clairement d’attirer l’œil, de mettre en avant les attributs les plus séduisants de la marque et la promesse qui la sous-tend afin d’engendrer un acte d’achat et si possible à terme, une fidélisation de la personne à la marque.
C’est le franco-américain Raymond Loewy qui a été le premier à comprendre l’importance de l’emballage dans la communication au-delà de son simple aspect fonctionnel. Dans les années 30, ce graphiste et designer industriel réalise qu’un objet porte en soi des caractéristiques qui peuvent devenir des atouts de communication distinctifs et extrêmement efficaces grâce à la forme, au logo, à la typographie, aux codes couleur, etc. En 1940, c’est d’ailleurs son agence qui concevra le paquet Lucky Strike, reconnaissable entre mille avec son rond rouge et son cercle kaki. Aujourd’hui, nul ne lance ou ne renouvelle un produit sans travailler en profondeur cet aspect identitaire qui fait par exemple que la virgule « swosh » est immanquablement associée à Nike ou la pomme croquée à Apple.
Confrontée aux multiples barrières réglementaires que les pouvoirs publics édictent régulièrement à son encontre, l’industrie du tabac est probablement l’une de celles qui consacre des efforts faramineux à l’aspect marketing de ses paquets vendus chez les buralistes (ou dans des distributeurs automatiques dans certains pays). Logos soignés, valeurs trendy et événements ciblés sont autant de leviers qu’actionnent en permanence les fabricants de tabac pour conférer une puissante imagerie « lifestyle » à leurs produits.
Paquet neutre, la négation du marketing
Depuis que la ministre de la Santé française a annoncé son intention d’introduire le paquet de tabac neutre dans le courant de l’année 2016, les réactions ont été virulentes chez les industriels et chez les buralistes. Les premiers empilent à l’envi les recours en justice et intensifient un lobbying effréné auprès des législateurs pour tenter de faire avorter le projet ministériel. Les seconds se sont quant à eux attaqués aux radars routiers en les emballant de sacs plastiques opaques pour impacter la manne financière incontestable pour l’Etat que représentent ces appareils. Dans cette bataille d’image auprès de l’opinion publique, il est également fort à parier que la publication du Top 50 des buralistes les plus riches par le Journal du Dimanche le 19 juillet dernier, ne relève pas forcément d’une coïncidence fortuite ! On y apprend notamment que certains bureaux de tabac encaissent jusqu’à 500 000 euros par an uniquement via la vente de paquets de cigarettes !
Dans ce contexte tendu, le paquet neutre est en effet une menace communicante mortifère pour ceux qui vivent de leurs rentes tabatières. Si la marque de chaque cigaretier figure encore sur le paquet, elle est en revanche dépouillée de toute son ADN marketing par rapport aux concurrents. Exit les signes distinctifs comme le chameau de Camel, le casque ailé de Gauloises ou encore la figure géométrique rouge associée à Marlboro. Avec le paquet neutre, toutes les marques deviennent quasi identiques sur les étagères du buraliste. Un peu comme si chaque être humain disposait du même visage, de la même voix et des mêmes habits tout en ayant seulement un morceau de tissu indiquant le nom de la personne !
Gadget opportuniste ou vrai coup d’arrêt ?
Si la France étudie actuellement l’idée du paquet neutre tandis que l’Angleterre, l’Irlande, la Norvège et la Nouvelle-Zélande ont déjà voté sa future application, seule l’Australie est passée à l’acte depuis 2012. Non sans difficultés car l’industrie du tabac s’était alors engagée dans des campagnes de communication agressives (suggérant notamment que le commerce illégal allait bondir) et des recours juridiques dont certains durent encore à l’heure actuelle. Il n’empêche que trois ans plus tard, les autorités sanitaires australiennes affichent des résultats. Le taux moyen de tabagisme de la population est tombé à 12,8% (1) alors que dans les années 90, le continent australien comptait 25% de fumeurs.
En revanche, ces mêmes Australiens expliquent que le paquet neutre ne constitue pas à lui seul la martingale pour qui veut enrayer la consommation du tabac. Ceux-ci ont également interdit la publicité sur les lieux de vente et augmenté plusieurs drastiquement le prix d’achat du paquet de cigarettes. Pour le moment, ces éléments de dispositif ne sont pas à l’ordre du jour dans le projet français. Seul, le paquet neutre est brandi comme l’arme fatale qui devrait en principe réduire la mortalité annuelle des fumeurs français qui s’élève à 78 000 personnes (2). Mais face à des industriels et des buralistes qui rapportent également à l’Etat, la polémique autour de ce paquet neutre risque justement de ne point l’être. Les uns arguant leur apport économique tandis que les autres pointent le coût sanitaire lié au tabagisme.
Sources
– (1) – Solveig Godeluck – « En Australie, le taux de tabagisme est tombé à 13% » – Les Echos – 21 juillet 2015
– (2) – Elise Delève – « Expliquez-nous le paquet neutre » – France Info.fr – 21 juillet 2015
Pour en savoir plus
(mise à jour du 23/07) – Carole Soussan – « Tabac : les conséquences du paquet neutre selon Japan Tobacco » – CB News – 23 juillet 2015
3 commentaires sur “Tabac : En quoi le « paquet neutre » est-il une arme de communication plus dissuasive que les campagnes de prévention ?”-
Boyer -
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Yvon Novy -
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Olivier Cimelière -
Concernant cette nouvelle « réforme » des paquets je trouve cela profondément sans intérêt… Étant prof d’arts plastiques et ayant tous les jours une relation à l’image je trouve que sincèrement, les images « chocs » voulues par les publicitaires sont très peu efficaces. De plus, étant myope, je garde une vue correcte mais légèrement « floutée » aussi, sincèrement, je suis désolée, mais l’image de l’individu ayant une « trachéotomie » passe plus pour un plan rapproché d’un anus douteux qu’autre chose. Si la démarche de la sécu est de dire « Fumez et vous l’aurez dans le *** » ok, mais sinon c’est d’une maladresse confondante.
Entendons nous bien, je suis un ancien fumeur, et je n’ai rien contre la paquet neutre. Et je pense que celui-ci aura surtout un impact sur les plus jeunes, et qu’elle les dissuadera certainement plus que ceux des générations précédentes, comme la mienne, de commencer.
Maintenant, il faut aussi préciser que ce qui est présenté comme le « succès australien » du paquet neutre s’explique pour une très grande part par une autre mesure parallèle à celle paquet neutre, mais qui n’est que très peu évoquée. L’Australie à, en effet, augmenté le prix du paquet de tabac de 12,5% par an depuis 2012 !
En effet, l’augmentation du prix est considérée, depuis de nombreuses années, et par de nombreux spécialistes, comme la mesure la plus efficace pour la diminution de la prévalence tabagique.
Dommage, pour l’objectivité du propos, que cet aspect ne soit que si peu évoqué… et que la France ait totalement écarté cette possibilité et même annulé l’augmentation annuelle, pourtant automatique depuis plusieurs années !
Merci pour votre témoignage très intéressant. En revanche, j’évoque bien en fin d’article le fait que l’Australie a fortement augmenté le prix du paquet (et même interdit les pubs sur les lieux de vente). Ma conclusion est effectivement que le paquet neutre ne produit des effets que s’il s’insère dans un dispositif plus large.