Site anti-fake news du gouvernement : Pourquoi cette initiative avait tout faux dès le départ ?
Les infoxs constituent une incontestable calamité qu’il devient de déminer sans relâche. Notamment sur le coronavirus où pullulent les fausses informations et les rumeurs farfelues. C’est dans cette optique que le gouvernement a lancé fin avril 2020 son site « Désinfox Coronavirus » en sélectionnant des articles de presse considérés comme fiables. L’initiative a suscité un tollé général, y compris chez les journalistes qui estiment que l’Etat n’a pas à s’immiscer de cette manière dans l’information du public. Il y avait en effet d’autres options à explorer plutôt que s’arroger le travail des journalistes pour son propre compte.
Rarement un gouvernement n’aura collectionné autant d’erreurs de communication depuis qu’il officie au pouvoir. Après les petites phrases irritantes du Président, les boulettes à répétition de la porte-parole du gouvernement, le niais #ASKPPG sur Twitter et la chaotique stratégie de communication sur le projet de réforme des retraites, l’annonce de la création du site « Désinfox Coronavirus » est venue s’ajouter à l’escarcelle déjà bien lourde en ratages divers. Si l’intention de combattre les fake news relatives au coronavirus est louable et souhaitable, l’approche retenue était en revanche vouée d’emblée à l’impasse communicante.
Covid-19 & fake news : ça prolifère
Tandis que les infos bidon sur la pandémie du Covid-19 battent leur plein sur les réseaux sociaux et sont largement viralisées sur les messageries instantanées, le gouvernement a choisi fin avril d’entrer dans la danse avec la création d’une page dédiée au sujet sur le site Gouvernement.fr. Objectif : compiler tous les articles de presse ayant relevé et démontré l’existence de fake news sur le coronavirus émanant très souvent de personnalités controversées mais aussi d’opposants et de contempteurs de tout poil de la gestion gouvernementale de la crise sanitaire. Interrogée sur cette initiative, Sibeth N’Diaye est aussitôt montée au créneau pour justifier le projet (1) : « Depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, le gouvernement travaille à garantir à l’ensemble de nos concitoyens l’accès aux informations les plus fiables possibles, en temps réel (…) Nous assistons à une prolifération, que je qualifierai d’inouïe, de fausses informations, (…) et qui peuvent entraîner des conséquences sanitaires lourdes ».
L’enjeu n’est effectivement pas neutre lorsque l’on sait qu’il faut à la vérité à peu près six fois plus de temps pour toucher 1.500 personnes qu’une information fausse. Ce ratio très sérieux a été établi par trois chercheurs, Soroush Vosoughi, Deb Roy et Sinan Aral dont les résultats des travaux ont été publiés en mars 2018 dans la grande revue scientifique américaine Science. Entre 2006 et 2017, ils ont ainsi passé au crible la manière dont des nouvelles, fausses et vraies, avaient été diffusées sur Twitter. Pour cela, ils ont analysé le parcours de 126.000 d’entre elles, rediffusées plus de 4,5 millions de fois par 3 millions de personnes. Il en ressort notamment que la fake news circule beaucoup plus vite et auprès d’un nombre plus élevé de personnes. Face à cette infodémie, il est assez évident qu’il ne faut pas rester les bras ballants au risque de laisser la fausseté s’imposer comme « vérité » alternative.
Un hasardeux mélange des genres
A peine la page avait-elle vu le jour qu’elle a pourtant aussitôt reçu une volée de bois vert par de nombreux journalistes. En cause, la sélection opérée par le SIG (Service d’Information du Gouvernement) où ne figurent que des articles issus de 5 sources d’information : Agence France Presse, Europe 1, Le Monde, Libération et 20 Minutes. Exit d’autres médias comme France TV Info, Les Echos, L’Opinion, L’Obs, etc qui consacrent pourtant eux aussi des reportages étayés sur les infoxs en conjonction avec le coronavirus. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le 3 mai, les sociétés de journalistes et de rédacteurs de 32 médias français ont publié une tribune indignée par le fait que l’Etat s’intronise en quelque sorte arbitre de l’information (2) : « La presse française est indépendante de l’État et du pouvoir politique. Elle doit même exercer, dans sa pluralité et sous l’œil critique de ses lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, son rôle de contre-pouvoir (…) En distinguant tel ou tel article sur son site, le gouvernement donne l’impression, dans un mélange des genres délétère, de labelliser la production de certains médias ».
Au-delà du fait effectivement contestable de sélectionner les uns et pas les autres pour opérer une riposte informationnelle contre les fake news liées au Covid-19, la communication du gouvernement a surtout et aussi pêché par omission du contexte sociétal actuel. Or, celui-ci est aujourd’hui empreint d’une défiance absolue où pouvoirs politiques comme médias professionnels sont souvent morigénés pour leur supposée collusion. Historien des médias, professeur émérite à Paris I Panthéon Sorbonne et président de l’Observatoire de la déontologie et de l’information, Patrick Eveno est très critique (3) : « Ce procédé du gouvernement a des effets pervers puisque toute apparence de labellisation, de bonnes paroles, nourri le complotisme. Cela insinue que les journaux sont ‘vendus’ au gouvernement. C’est faux bien sûr, mais c’est clairement contre-productif ».
Dans ce pataquès d’une vacuité regrettable, le directeur de la rédaction de Libération, Laurent Joffrin (dont le journal figure pourtant parmi les 5 sources utilisées par le gouvernement) enfonce définitivement le clou (4) : « La communication gouvernementale est une chose, le travail des rédactions en est une autre. Cette publication sans autre forme d’explication risque d’introduire une confusion dans l’esprit des lecteurs, d’autant que sa promotion a été faite par Sibeth Ndiaye, qui occupe le poste très politique de porte-parole du gouvernement ». On ne saurait mieux dire !
Le handicap de la défiance
Le 5 mai, c’est le ministre de la Culture, Franck Riester qui s’y colle pour prononcer l’extrême-onction de la si controversée initiative. La page est définitivement supprimée du site Web du Gouvernement où ne sont mises en ligne que des informations factuelles sur le Covid-19. Pour autant, était-il si impossible pour le gouvernement d’apporter son écot dans la lutte contre cette infodémie extrêmement problématique. Certes, la parole politique est largement discréditée de nos jours. Tous les baromètres de confiance virent au rouge dès lors qu’il s’agit d’accorder un brin de confiance à un dirigeant politique, surtout si celui-ci est actuellement au pouvoir et surtout au moment où l’action gouvernementale ne cesse d’enregistrer des records de défiance. Les enquêtes hebdomadaires de l’institut Ifop montrent une nette dégradation de la perception des Français. Fin février, 57% d’entre peux estimaient que « le gouvernement a caché certaines information ». Le chiffre a grimpé à 64% à la mi-mars pour finalement s’établir dorénavant à 74% (5).
En tant qu’émetteur, le gouvernement n’a forcément pas toute la légitimité requise aux yeux de l’opinion publique pour combattre les fake news. Surtout en piochant dans des articles de presse pour nourrir son argumentation. Dans ce cadre, il est alors d’emblée perçu comme étant juge et partie. Y associer le travail de la presse (elle-même souvent vilipendée) pour alimenter sa communication était par conséquent une erreur magistrale. Néanmoins et en dépit d’une cote de popularité plutôt en berne pour le pouvoir exécutif, le SIG qui est la cheville ouvrière à la manœuvre pour ce genre d’opération, aurait pu s’inspirer d’autres approches déjà existantes.
Parler en son nom avec ses arguments
Parmi celles-ci, il y a les actions que certaines associations professionnelles ont déjà entreprises depuis quelque temps pour contrer les fake news qui les accusent de tous les maux. C’est par exemple le cas de l’ANIA (Association nationale de l’Industrie Alimentaire). En janvier 2019, l’association a ouvert un site dédié baptisé Alimentation Info Intox avec des relais sur Twitter et Linkedin. Le but : offrir des contrepoints argumentés qui viennent battre en brèche les infoxs que leurs détracteurs véhiculent sur les réseaux sociaux. La grande différence d’avec l’éphémère « Désinfox Coronavirus » est que l’ANIA assume pleinement de parler en son nom, avec des articles issus de ses bases documentaires et ne se retranche pas derrière des articles de presse choisis par ses soins. Pour le lecteur lambda, c’est au moins l’assurance de savoir qui parle de quoi et en quel nom. Libre à chacun ensuite de se forger sa propre opinion entre les contenus de l’ANIA, les articles de presse sur l’industrie alimentaire et les espaces d’expression des opposants déclarés.
Cette volonté de démêler le vrai du faux a été adoptée par ailleurs par deux autres organismes professionnels. Le SNITEM (qui représente la majeure partie de l’industrie du secteur des dispositifs médicaux et des Technologies de l’Information et de la Communication en Santé) propose une page Vrai/Faux sur des thématiques sensibles relatives à ses activités. De même, le LEEM (qui regroupe les entreprises du médicament en France) publie des articles de fond sur des controverses sociétales comme par exemple les vaccins en Afrique et les fake news qui s’y rattachent. Là aussi, les contenus sont clairement estampillés du LEEM et assumés comme tels.
Ne rien lâcher pour autant
Dans le reste du monde, des gouvernements ont aussi fait des fake news et des manipulations de l’information leur cheval de bataille. L’Australie a notamment déployé en 2018, une « task force » dédiée pour identifier de potentielles campagnes étrangères et cyberattaques pouvant influer sur le cours des élections et la vie démocratique australienne. En février 2019, celle-ci a même menacé de traîner en justice Twitter et Facebook s’ils ne faisaient plus de ménage sur certaines campagnes sponsorisées au sujet de l’Australie. Quelques mois plus tard, elle a initié une campagne de sensibilisation nationale, « Stop & Consider » auprès des citoyens afin qu’ils accordent une attention plus soutenue aux sources de leurs informations.
Une chose est acquise. Une stratégie de communication gouvernementale n’a pas à se servir du travail journalistique pour justifier et alimenter ses propres opérations contre les fake news. A chacun de jouer sa partition dans le rôle qui lui incombe naturellement. Ce n’est que par l’adjonction complémentaire de contenus institutionnels, de contenus éditoriaux, de contenus scientifiques et universitaires que la lutte contre les infoxs peut s’avérer payante à terme ou du moins espérer enrayer le processus.
Il est toutefois évident qu’il n’existe de botte secrète miracle contre les fake news. Il ne faut effectivement pas perdre de vue que la croyance attribuée à ces dernières relève aussi de nos propres biais cognitifs comme celui de ne vouloir lire ou regarder que les informations qui confortent la réalité que chacun veut se forger. Il n’en demeure pas moins que le terrain ne doit pas être laissé aux chantres de la « vérité » alternative, post-vérité et fake news patentées si l’on veut encore disposer d’une information fiable, intelligible et étayée.
Sources
– (1) – DSG – « Le gouvernement défend son site contre les fake news » – Stratégies – 4 mai 2020
– (2) – Tribune collective – « L’Etat n’est pas l’arbitre de l’information » – Le Figaro – 3 mai 2020
– (3) – Fanny Marlier – « Pourquoi le site du gouvernement dédié à la lutte contre les fake news est contre-productif » – Les Inrocks – 4 mai 2020
– (4) – Sandrine Bajos – « Le site anti-«fake news» du gouvernement fait grincer des dents » – Le Parisien – 2 mai 2020
– (5) – « Suivi de la crise du coronavirus et de l’action gouvernementale » – Ifop – 30 avril 2020