Le dircom est-il un dinosaure voué à disparaître ?
L’intitulé du billet peut sembler « cash » dans le ton. Pourtant, il reflète certaines tendances actuellement à l’œuvre au sein de la profession de communicant. L’immixtion permanente du digital a fait apparaître de nouvelles compétences, de nouveaux profils tout en brouillant les frontières des missions des uns et des autres. Puisque tout le monde est de plus en plus amené à communiquer et interagir avec des communautés, le rôle de directeur de la communication reste-t-il pertinent dans les organisations ? Si oui, quelles transformations doit-il entreprendre pour générer de la valeur ajoutée ? C’est précisément autour de ces questions clés que le cabinet de conseil OasYs consultants a tenu une table ronde le 28 février dernier avec des professionnels chevronnés.
C’est peu de dire qu’en à peine une décennie, les métiers de la communication ont connu une mutation jamais atteinte jusqu’à présent. Pour en débattre, OasYs consultants a rassemblé cinq acteurs qui vivent au quotidien les tendances qui façonnent désormais le monde de la communication : Isabelle Cambreleng, directrice communication marketing et digital chez Visiomed Group, Sabine Baudin Delmotte, directrice des relations presse et de la e réputation chez BPCE, Florence Haxel, entrepreneure actuellement en mission digitalisation au CFPJ, Philippe Deljurie, co-fondateur et président de Meteojob et Bertrand Le Ficher, directeur practice communication chez OasYs. Synthèse des point saillants et des commentaires plus personnels de l’auteur de ce blog.
Communication : un terme obsolète ?
La discussion a d’emblée roulé sur l’obsolescence de la communication en tant que fonction à part entière. Pour Philippe Deljurie, président de Meteojob, le constat est plutôt clair : « Le terme « communication » disparait peu à peu des intitulés de postes dans le secteur. On parle de « community manager », de « content chief officer », « ambassadeur », etc. Par ailleurs, deux tiers des offres d’emploi s’adressent aux développeurs, aux data scientists, aux commerciaux ». Autant de métiers qui n’existaient pas ou peu il y a encore quelques années et qui viennent désormais mordre sur les terrains jusque-là animés et gérés par la communication. Et Isabelle Cambreleng de renchérir : « Au rythme où vont les choses, on peut parier que le mot « digital » aura disparu dans le futur, tant le digital aura infusé toute la profession ».
Alors doit-on se préparer au requiem pour un communicant ? Personnellement, je ne le crois pas. S’il est évident que le Web social a profondément bousculé les pratiques professionnelles et redessiné la carte des compétences, il n’a pas entériné pour autant la mort de la communication. Ou plutôt, si ! Il est en train d’achever une certaine communication qui a longtemps prévalu avec une approche très verticalisée, une obsession du contrôle des messages et une propension à édulcorer ou enjoliver face à des publics disposant de moins de canaux d’information qu’aujourd’hui. Cette communication-là est clairement subclaquante même si elle continue d’être brandie par certains gourous dépassés par les événements. En revanche, si le communicant parvient à opérer sa propre mue intellectuelle et s’extirper de cette vision mécanisée de la com, il a au contraire un rôle majeur à exercer au sein de son entreprise ou de son institution. Nul autre que lui ne dispose d’une vision aussi globale tant à l’interne qu’à l’externe. A lui d’être précisément en veille permanente, en capacité de synthèse et en mode aiguillon pour faire vivre l’organisation dans son écosystème et parmi ses parties prenantes. Les contenus, les data, etc ne sont que des véhicules dont chacun peut s’emparer mais pour lesquels un besoin de cohérence globale doit être garanti. Et là, c’est bien le dircom qui est en mesure de le faire. A condition qu’il soit effectivement parvenu à adopter les nouveaux paradigmes du digital.
Conversation, contenu, veille : les nouveaux fondamentaux ?
Avec la montée en puissance des réseaux sociaux, on est en effet passé d’une logique unidirectionnelle et incantatoire à une logique de conversation multilatérale. Ce principe d’interaction induit tout à la fois une capacité d’écoute permanente et une forte réactivité selon Isabelle Cambreleng. D’où notamment l’explosion des contenus qui viennent alimenter cette nouvelle donne et apporter une valeur ajoutée supplémentaire à la fonction de communication. « Les contenus servent aussi une logique de preuve, ils viennent démontrer l’efficacité des outils auprès des salariés comme des clients » insiste Sabine Baudin Delmotte. A condition de savoir être agile et en éveil permanent pour Isabelle Cambreleng : « La formation devient vite obsolète. Tout communicant se doit d’être en veille permanente. E-learning, Mooc, Snapchat, etc. Sans négliger le branding personnel ! ».
Ce recours aux contenus et à la veille est de toute évidence la grosse évolution majeur de la communication. Ceci d’autant plus que les outils à disposition n’ont jamais été aussi variés et puissants pour mieux connaître et interagir avec les publics qui sont devenus eux-mêmes des émetteurs. Néanmoins, une stratégie de contenus n’aura de sens et d’efficacité que si le dircom sait s’affranchir des préceptes du passé. Combien d’entreprises ont ouvert des comptes Twitter, des pages Facebook, etc tout en persistant à être totalement centriques dans leurs contenus et sans vraiment se préoccuper de ce que les communautés attendent d’elles en termes d’information ? Or, la clé du succès est précisément de se mettre en posture de veille active et d’accepter de se faire interpeler pour créer une opportunité conversationnelle. Si l’on reste rivé sur son nombril corporate ou de marque, il y a peu de chances que les contenus touchent vraiment les publics visés.
Tout devient storytelling
Le concept de storytelling fait florès depuis que le digital amène les entreprises à devoir plus se raconter et expliquer. Isabelle Baudin-Delmotte note que les ressources humaines sont souvent à l’avant-garde par le truchement de la marque employeur : « Dans les grandes entreprises, ce sont les DRH qui se sont saisi du sujet à travers le recrutement. Les DRH ont investi les réseaux sociaux les premières pour faire rêver les recrues potentielles ». Dès lors, l’exercice se complique pour le dircom qui était jusqu’à présent le canal majeur de la communication d’une entité. Il se mue dorénavant en chef d’orchestre multicanal. Il doit savoir à qui parler, sur quel ton et quel media en maniant une grande diversité de formats et en mesurant la performance de ses campagnes.
S’il est un fait que l’entreprise ne se raconte plus uniquement que par la voix de son président mais aussi des différents acteurs qui la composent, le storytelling ne doit pas devenir pour autant une bouillie bavarde où chacun délivre ses messages. Là encore, le dircom est à la croisée des enjeux. C’est à lui de structurer la trame globale et l’épine dorsale du récit. Avec une condition qui est malheureusement encore souvent perdue de vue : raconter oui mais avec la force de la preuve. Les publics ne se contentent plus de vœux pieux. Ils veulent qu’on leur montre la réalité des choses pour souscrire au discours d’une organisation. Comme le dit souvent une des plus grandes spécialistes du storytelling, Jeanne Bordeau, président de l’Institut de la Qualité de l’Expression, « il s’agit avant de raconter une histoire, pas des histoires ». Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le mot même de storytelling est parfois empreint de suspicion manipulatoire !
Un niveau d’exigence et de technicité inédit
Pour illustrer la complexification du métier, Isabelle Cambreleng témoigne des évolutions qu’elle a vécues : « Au début de la transformation numérique, on a recruté des community manager puis, il a fallu mesurer la performance (le taux d’engagement n’existait pas encore). La quantité de followers est vite devenue un indicateur insuffisant. L’analyse des data est montée en puissance jusqu’à modifier profondément la nature de nos métiers. Le programmatique, les logiques de display, ont apporté un niveau d’exigence inédit. Car non seulement le dircom doit s’entourer aujourd’hui de spécialistes mais il doit d’une part comprendre leurs « jargons » et d’autre part les challenger ».
De toute évidence, le métier de dircom requiert maintenant un niveau de technicité nettement plus poussé qu’auparavant. Mais en plus de s’appuyer sur des spécialistes, il est à mes yeux, surtout conseillé de faire sa propre expérience et de s’immerger dans le Web social. D’aller en somme sur le terrain même si celui-ci est devenu pour partie digitale. Etre un as du paramétrage de tel ou tel outil ou faire des formations à la pelle ne suffit pas à appréhender la culture et les codes qui prévalent sur les médias sociaux. Encore une fois, la compréhension des outils est nécessaire mais elle ne doit pas constituer une fin en soi. La technicité d’un dircom passe aussi et avant tout par son pragmatisme et sa sensibilité à s’imprégner d’un contexte. Et cela, ce n’est pas un outil qui le fournit !
De nouvelles porosités
Avec le digital, les frontières s’effacent et bougent en permanence. C’est le cas dans les grandes entreprises. Chez BPCE par exemple, on mutualise les messages entre les publics internes et externes. Les outils digitaux servent autant les collaborateurs (cocooning team) que les clients. Corollaire de cette porosité accrue : ces sociabilités nouvelles exposent davantage les organisations à la critique. Mais ces dernières sont aussi mieux armées. Un leurre consiste à céder à l’immédiateté en cas de crise. Dans le nouveau paradigme digital, « une organisation horizontale et collaborative permet de gagner en agilité dans les situations sensibles » souligne Isabelle Cambreleng. Pour Florence Haxel, « le nouvel ADN du dircom est là : entre le collaboratif et le digital. ».
C’est sans doute le défi le plus difficile à accomplir pour nombre d’organisations et de communicants qui ont toujours eu l’habitude de fonctionner en mode contrôle et de justement limiter au maximum les porosités de toutes sortes. Pourtant, cette révolution culturelle est indispensable à réaliser même si le changement n’est pas chose aisée. Il faut bien se mettre dans la tête que le temps du message calibré et maîtrisé de bout en bout est totalement révolu. Pour autant, ce n’est pas une fatalité mortifère. Même en cas de crise, les communautés ne sont pas forcément des hordes prêtes à défoncer n’importe quelle réputation. Il s’agit en revanche d’être plus collaboratifs tant en interne qu’en externe. Il faut accepter dorénavant que le message se co-construit en permanence même si le dircom est là pour impulser le tempo. Ne pas l’intégrer, revient à s’exposer à des risques autrement plus sérieux. Et le dircom pourrait alors être ce dinosaure voué à disparaitre !
Un commentaire sur “Le dircom est-il un dinosaure voué à disparaître ?”-
Zerbo René Louis -
Il sera donc plus que nécessaire pour le communicateur d’intégrer ces nouveaux moyen de communication dans son activité afin de pas tomber dans l’oublie et dans l’inutilité.