« Mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît » ou le défi n°1 des communicants d’aujourd’hui sur le Web
Plus que la course effrénée aux fans et aux clics, l’attention de l’internaute s’impose désormais comme la problématique centrale de toute stratégie de communication. Dans un monde saturé d’informations et de stimuli visuels, capter durablement l’attention d’un individu devient un challenge de moins en moins évident. Si les stratégies de contenus n’intègrent pas ce défi appelé à perdurer et continuent de bombarder au lieu de fidéliser, il y aura des déceptions. Réflexions autour d’un enjeu capital pour les marques et les entreprises.
Les études sont au moins quasi unanimes sur le sujet. L’ « homo connectus » que nous sommes devenus consacre un temps exponentiel à naviguer sur ses écrans. Ordinateur, smartphone, télévision, tablette et même maintenant montre avec l’Apple Watch, nous ne cessons de picorer et ingurgiter des données, des images, des publicités et quantité d’autres contenus censés combler notre satiété de savoir et de loisirs. Une étude publiée en 2012 par Google le confirme. Aujourd’hui, 90% de nos interactions médias interviennent depuis un écran (1). Au total, nous passons l’équivalent de 4,4 heures au quotidien à sautiller d’écran en écran soit en mode séquentiel (d’un écran à l’autre), soit en mode simultané (deux écrans ou plus en même temps).
Une indéniable appétence de contenus
De ces écrans irremplaçables, l’internaute attend de surcroît énormément de choses. En octobre 2014, l’étude « Connected Life » réalisée par TNS soulignait que 80% des personnes effectuaient des recherches d’information sur le Web avant d’envisager l’achat d’un produit ou d’un service. Cette étude confirmait même une appétence caractérisée de ces consommateurs connectés en quête de contenus utiles et ludiques. 69% se déclaraient en effet prêts à entrer en conversation avec une marque si cette dernière est capable de fournir des contenus ayant une véritable valeur ajoutée et pas une approche bourrage de crâne publicitaire.
De fait, les marques et les entreprises se sont engouffrées dans cette opportunité de contact qu’Internet et les réseaux sociaux procurent. Jamais en effet, l’humanité n’a disposé d’autant de sources d’information et de contenus à lire, voir, écouter, etc. L’exemple probablement le plus emblématique de cette surabondance éditoriale est la célèbre plateforme YouTube. A l’heure actuelle, elle rassemble plus d’1 milliard d’utilisateurs qui regardent quotidiennement des centaines de millions d’heures de programmes vidéo (2). A chaque minute qui s’écoule, ces programmes s’enrichissent de l’équivalent de 300 heures supplémentaires de contenus. Enfin, le temps de consommation vidéo sur YouTube progresse tous les ans en moyenne de 50%.
L’attention, une denrée rare
Dans cette marée incessante de contenus diffusés et viralisés à travers le Web et les réseaux sociaux, les éditeurs sont à l’affût des clics, des fans, des likes, des followers et autres métriques qui prouveront mordicus que leur stratégie éditoriale recueille l’intérêt et les faveurs de leurs publics. En mars 2014, un sacré pavé a pourtant été jeté dans la mare par Tony Haile. Dans un long et argumenté article, le PDG de Chartbeat, un éditeur américain de logiciels de mesures de l’audience digitale, enjoignait les communicants et les marketeurs à réviser leurs gammes en matière d’appréciation de la performance de leurs contenus.
Grâce notamment à une étude comportementale effectuée en ligne à travers plus de 2 milliards de pages visitées pendant 1 mois, Tony Haile a mis en évidence que 55% des internautes accordent en moyenne moins de 15 secondes d’attention active à une page. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’ils ont cliqué sur un lien qu’ils ont automatiquement lu le contenu proposé dans la page. Dans la foulée, il démonte une seconde idée reçue qui veut que le partage de contenus soit corrélé à la lecture préalable de ceux-ci. Pire, plus le partage d’un contenu fait par un internaute est fréquent, plus il a majoritairement tendance à n’avoir pas été lu au préalable. En d’autres termes, les socionautes viralisent uniquement des titres, des messages de 140 caractères et des visuels sans forcément s’être imprégnés de l’intégralité du contenu partagé.
Ces observations rejoignent celles déjà relevées par une étude plus ancienne de l’université de Californie à San Diego. En décembre 2009, un rapport sur la consommation de l’information par les Américains établissait qu’une personne moyenne était exposée quotidiennement à 100 500 mots tous médias confondus (c’est-à-dire traditionnels et numériques) mais qu’il en retenait au final qu’un nombre infiniment restreint (3). Six ans, il est fort à parier que ce piètre score ne se soit guère amélioré face à l’expansion inexorable de la connectivité multi-écrans qui imprègne les vies de chacun.
L’ère de l’ « attention partielle continue »
Les scientifiques n’ont d’ailleurs eu de cesse d’alerter sur ce déficit croissant de l’attention à mesure que l’ère de la distraction et de l’interaction permanente s’est imposée dans les sociétés connectées. L’économiste et sociologue Herbert Simon faisait déjà remarquer en 1971 que « ce que l’information consomme est plutôt évident : elle consomme l’attention de ses destinataires. Par conséquent, une opulence d’information engendre une pauvreté d’attention et un besoin d’allouer efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d’information qu’elle peut consommer » (4). Ce qui fait dire quelques décennies plus tard à Linda Stone, auteur et consultante en technologies que nous vivons tous à l’âge de « l’attention partielle continue ». Finalement, la phrase très controversée de l’ex-PDG de TF1, Patrick Le Lay au sujet du « temps de cerveau disponible » qu’il vendait aux annonceurs en 2004, n’était pas si éloignée de la problématique qui se pose désormais aux communicants et aux marketeurs. Dans un océan abyssal de contenus digitaux charriés en permanence, comment émerger auprès de ses publics et surtout comment retenir qualitativement leur attention ?
Il est en effet illusoire de continuer à ne jurer que par les métriques quantitatives pour évaluer la réelle performance d’un contenu édité. Si celles-ci constituent d’intéressants jalons pour avoir une idée de l’impact et de la portée d’une information, elles ne peuvent décemment plus justifier et prouver à elles seules la pertinence d’un contenu auprès d’une cible. Surtout si celle-ci n’a que 15 secondes à accorder avant de zapper sur autre chose ! C’est donc là le challenge incontournable que les professionnels de la communication vont devoir s’astreindre à résoudre dès maintenant et dans les années à venir. Il ne faut guère être grand clerc pour deviner que la pression informative et l’infobésité galopante ne sont pas prêtes de s’arrêter. A l’heure où l’Apple Watch promet à son tour de nous abreuver en contenus (le quotidien britannique The Guardian vient d’ailleurs de créer une application informative spécifique pour la montre), il va falloir se poser les bonnes questions en termes de stratégie de contenus.
Qualité des contenus = attention de qualité
Une des réponses au défi posé par cette attention à tendance morcelée semble évidente : miser sur la qualité avérée des contenus. Autrement dit, il s’agit d’élaborer des informations originales, avec une vraie valeur pédagogique et/ou expérientielle, qui tiennent également compte des attentes et des remarques du public visé. Plus ce dernier percevra un bénéfice concret à la lecture ou au visionnage de ces contenus soignées, plus il sera enclin à consacrer un temps plus long d’attention soutenue et au bout du compte, fidèle.
Dans les années à venir, l’encombrement sera maximal sur le Web et les réseaux sociaux. Déjà sur Facebook, on observe une légère érosion du fameux « reach » du fait notamment du flux exponentiel de contenus diffusés sur la plateforme. Le matraquage de contenus et les astuces comme le « clickbait » vont devenir dérisoires et ne sauront plus justifier à eux seuls l’impact d’un contenu. Le temps d’attention est désormais le mètre-étalon capable de jauger de la pertinence d’un contenu auprès d’un public. Celui-ci va s’acquérir chèrement dans un contexte de bombardement informationnel où la qualité permettra de se frayer un chemin et de fidéliser durablement des communautés. Penser le contraire revient à s’exposer à des faillites cuisantes.
Sources
– (1) – « The new multi-screen world study » – Think with Google – Août 2012
– (2) – Statistiques officielles de YouTube – Avril 2015
– (3) – « How much information? 2009 report on American consumers » – UC San Diego – Décembre 2009
– (4) – Tomas Chamorro-Premuzic – « The distraction economy : how technology downgraded attention » – The Guardian – 15 décembre 2014
Pour aller plus loin
– Télécharger l’intégralité de l’étude Google
– Lire l’article de Tony Haile – « What you think you know about the Web is wrong » – Time – 9 mars 2014
– Télécharger l’intégralité de l’étude de l’université de Californie
6 commentaires sur “« Mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît » ou le défi n°1 des communicants d’aujourd’hui sur le Web”-
Lovegiver -
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Olivier Cimelière -
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Yoan -
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Olivier Cimelière -
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Nicolas M -
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Olivier Cimelière -
Lecture très intéressante.
As-tu de bons conseils pour un blog ?
Le Blog du Modérateur est ce qui se fait de mieux en termes de conseils pour faire un blog
Capter l’attention de l’internaute devient vraiment difficile, je suis bien d’accord.
Merci pour l’article.
Merci Yoan … et le challenge est loin d’être fini !
Excellent article, sur un triste paradoxe !
L’expérience terrain montre bien que les contenus de qualités étant souvent plus difficiles d’accès, ils sont malheureusement écartés au profit de ceux plus simplistes et « bien vendus » / par une jolie image par exemple
Cela existe depuis longtemps dans la presse, mais la quantité induite par le numérique à un effet de loupe grossissante … je conseille de lire à ce sujet « internet rend il plus bête » de N.CARR
Je me demande comment mesurer réellement ce paramètre « attention » ? Même un temps important sur une page web ne donne pas de garantie absolue sur une lecture approfondie non ?
Il n’existe pas de méthode algorithmique infaillible pour déterminer le degré d’attention effective lors de la lecture d’une page. La durée passé sur celle-ci peut aider à extrapoler mais ce n’est pas suffisant. Le retour régulier de l’internaute et son temps de lecture moyen peuvent constituer d’autres indicateurs … ensuite on peut aussi faire des tests avec l’eye-tracking pour comprendre les zones où l’internaute accorde le plus d’attention.
En fait, la fidélité accordée à un média est sûrement le critère le plus valable. Si on continue de lire, écouter, regarder, c’est qu’on y trouve satisfaction (enfin en principe !)
Les commentaires sont clos.