E-réputation : Quand Ryanair essaye de dicter ses lois sur Internet
Pour célébrer la nouvelle formule du blog du Communicant, j’ai le grand plaisir d’accueillir à nouveau Roman, auteur de l’excellent blog “Air Observer” qui décrypte les faits et gestes des acteurs de l’industrie aérienne. Cette fois, il revient sur les derniers avatars de la compagnie Ryanair qui mène une déroutante stratégie en matière d’e-réputation. Attentive à ce qui se dit sur elle, l’entreprise n’entend pas pour autant tolérer les critiques et les divergences. Attention, turbulences en vue !
Le 24 juin 2013, The Daily Telegraph révélait avoir été contacté par le directeur de la communication de Ryanair, Robin Kiely. Le contenu du message était impérieux, sinon agressif, car il sommait presque le quotidien britannique de ne plus qualifier la compagnie de « no-frills », un terme fréquemment associé dans la presse anglophone au service minimal offert par les compagnies à bas coût.
Ainsi, Robin Kiely aurait déclaré : « Ryanair est une compagnie low-cost. Aussi j’apprécierais que vous évitiez de la qualifier de no-frills à l’avenir » tout en appelant « à corriger l’article dans ce sens ». Erreur de communication assez malhabile puisque le journaliste ayant écrit l’article a non seulement révélé l’échange, mais en a profité pour dresser un tableau démontrant point par point l’absence de services gratuits de la compagnie. Et Twitter de se charger de colporter le reste !
Une réputation devenue gênante pour Ryanair
L’histoire rappelle singulièrement celle, déjà évoquée sur ce blog, des menaces proférées envers un site spécialisé dans le report d’incidents aéronautiques ayant affecté Ryanair. A ceci près que la compagnie s’intéresse désormais autant à ce qui est dit sur la sécurité de ses avions que son e-réputation en général en termes de services et de tarifs. C’est un changement de cap pour cette compagnie habituée aux rumeurs et au « buzz », qu’il soit négatif ou positif.
Rappelons que c’est par le biais de déclarations choc, jouant sur la provocation et le sensationnel, que le PDG de Ryanair, Michael O’Leary a su faire parler abondamment de sa compagnie. Pour enfoncer le clou, il se livra par exemple à des annonces extravagantes comme la suppression des toilettes dans l’avion ou le détournement illégal d’une photo du couple Sarkozy. Dans la presse et sur Internet, Ryanair a de fait gagné ses galons de trublion en s’affichant comme une compagnie décomplexée, bon marché et au franc-parler familier. Le gag, loin d’être mauvais au départ, a pourtant fini par lasser à force de répétition excessive.
Désormais attaquée de toutes parts sur plusieurs aspects de son fonctionnement (le social et le fiscal notamment), le leader du marché low-cost aérien ne fait plus rire. En réalité, le divorce entre les passagers et la compagnie est tel qu’une campagne de communication événementielle en Espagne a tourné au véritable règlement de comptes entre les organisateurs et des passagers mécontents. Parallèlement, des sondages citent régulièrement Ryanair comme une des pires compagnies aériennes sur lesquelles voyager.
Las des critiques, le transporteur irlandais voudrait bien se racheter une virginité et se départir de son image de compagnie peu scrupuleuse. Ce serait un premier pas vers la mutation que souhaite maintenant engager Michael O’Leary pour obtenir une meilleure réputation. Mais les moyens employés sont loin d’être les bons !
Pour Ryanair, les réseaux sociaux « sont inutiles » !
Si sur le papier, la compagnie affirme vouloir changer de trajectoire, elle conserve pourtant dans les faits, un cap contre-productif. A l’origine de l’affaire du Daily Telegraph, on retrouve en effet la volonté affichée du transporteur de contrôler ce qui se dit de lui.. Renouant avec des pratiques accusatrices et impérieuses qui lui avaient valu une fort mauvaise presse dans le passé et un « effet Streisand» digne d’un cas d’école, Ryanair persiste malgré tout à vouloir museler un Internet qui s’illustre pourtant par sa liberté de ton.
Cette prise de position démontre autant une méconnaissance significative de la Toile qu’un mépris global pour l’écosystème numérique. Pour preuve, peu de temps après sa nomination, l’actuel directeur de la communication de Ryanair avait annoncé placidement qu’être sur les réseaux sociaux ne serait pas utile car cela signifierait que « deux personnes de plus devraient se consacrer à Facebook toute la journée ».
Ryanair est-il un «control freak » ?
Préférant une approche plus traditionnelle, la nouvelle stratégie de communication consisterait néanmoins à créer la discussion entre les émetteurs et la direction afin de combattre les « fausses accusations ». Dans la pratique, le poids-lourd du low-cost s’applique donc à surveiller ce que l’on dit sur lui dans la presse et sur Internet. L’écoute est effectivement incontournable mais rapidement stérile s’il s’agit ensuite d’envoyer des messages personnels mettant en garde ses détracteurs. Or, c’est précisément l’attitude empruntée par Ryanair. Un choix atypique, voire archaïque, dans un monde où la communication est de plus en plus horizontale. On a presque la désagréable impression que les communicants de Ryanair se trompent véritablement d’époque.
Tiraillée entre la volonté de changer sa réputation et un besoin compulsif de contrôle, la compagnie ne semble pas vraiment être prête à se libérer de ses dogmes. Si un profond changement d’état d’esprit et de culture communicante n’accompagne pas cet effort de veille et d’écoute, la réputation de Ryanair ne s’améliorera pas de sitôt!
En complément
– Lire le blog férocement opposé à Ryanair : « I Hate Ryanair »
6 commentaires sur “E-réputation : Quand Ryanair essaye de dicter ses lois sur Internet”-
Julien -
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Olivier Cimelière -
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Damien -
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Olivier Cimelière -
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Adrien -
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Olivier Cimelière -
Bravo pour cet article !
Outre le fait d’appuyer la où ça fait mal tout en étant bien documenté, votre article souligne bien une chose : il ne suffit pas d’être présent sur les médias sociaux pour réussir. Il faut aussi (et surtout) faire souvent une vraie révolution en interne pour changer les schémas de communication en remettant en cause sa conception du pouvoir et du contrôle.
Bravo encore pour ce billet !
Julien
Merci Julien … C’est en revanche Roman qu’il faut remercier pour ce billet : https://twitter.com/AirObserver .. J’ai eu le plaisir de l’accueillir sur mon blog mais c’est lui qui a réalisé ce bon billet !
Un webdocumentaire sur Ryanair « La face cachée du lowcost » Porsia http://www.verite-lowcost.com/
On y découvre comment Ryanair exerce une pression permanente sur des collectivités territoriales et passe outre le code du travail, sur fond de directive Bolkestein et de distorsion de concurrence.
Bonjour ! Merci beaucoup pour cette source d’information supplémentaire ! Je vais aller y jeter un oeil attentif !
Certains disent que tant qu’on parle de l’entreprise, c’est positif. Mais dans le cas de Ryanair, à force de parler de manière négative de la compagnie, il y a bien un moment où cela va se retourner contre elle… Personnellement, je n’arrive pas à comprendre la stratégie de communication de Ryanair.
Bonjour
La communication de Ryanair est effectivement difficile à suivre mais nombreuses sont les entreprises qui continuent de mettre un pied sur les médias sociaux tout en y appliquant les vieilles recettes du contrôle à tout prix. Sans comprendre que la donne a changé et qu’il est de plus en plus risqué (voire impossible) d’exercer une main-mise des messages publiés au sujet de l’entreprise. C’est la conversation qui s’impose au lieu de l’incantation !
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