Affaire Cahuzac : Jouer la victime peut-il réparer son image ?
L’entretien exclusif accordé au quotidien régional La Dépêche du Midi marque-t-il le début d’une lente reconquête d’image de la part de Jérôme Cahuzac ? A sa lecture, on devine une posture victimaire se dessiner. Est-ce une option viable en termes de communication ?
Depuis ses aveux, Jérôme Cahuzac a dû subir une déferlante médiatique et politique sans précédent. Entre réprobation écœurée et sans appel de ses désormais ex-amis politiques et télescopage d’une actualité lourde en révélations sur les frasques fiscales de divers riches Français, il est devenu à son corps défendant, le symbole honni d’une dérive patente des élites dirigeantes.
Une image dégradée
Une photo résume à elle seule de manière très symptomatique ce qu’incarne désormais l’ex-ministre du Budget dans l’opinion publique : celle où il tient un discours déterminé au-dessous d’un petit panneau sans ambages mentionnant « Lutte contre la fraude fiscale ». Tout la problématique d’image de Jérôme Cahuzac est synthétisée dans ce cliché : un puissant (enfin ex) s’affranchissant allègrement des lois qu’il édicte pour les autres.
L’enjeu réputationnel est devenu d’autant plus crucial pour l’élu du Lot-et-Garonne que ses aveux se sont vite accompagné de sulfureuses révélations sur ses accointances apparemment plutôt bien assumées avec des extrémistes de droite gérant ses finances et sur ses rémunérateurs conflits d’intérêt soupçonnés avec les laboratoires pharmaceutiques.
Quelle tactique communicante ?
Face à une réputation désormais calamiteuse, l’urgence est donc d’enrayer au maximum la propagation de l’onde de choc que commentaires médiatiques et politiques ne cessent d’entretenir à mesure que les jours passent. Avant d’accepter de parler au quotidien La Dépêche du Midi, Jérôme Cahuzac a ainsi pu compter sur un carré réduit de fidèles (dont son suppléant à l’Assemblée nationale) pour parler en son nom et peut-être lancer des ballons d’essai (comme celui d’un hypothétique retour sur le banc de député). L’idée étant de ne pas insulter l’avenir et commencer à poser des jalons.
Ensuite, le choix de réserver la primeur de sa toute première « réapparition » publique à un quotidien régional ne procède pas du hasard. Il permet d’une part de signifier son ancrage toujours existant dans la région qui l’a élue et d’autre part, de se tenir à l’écart des médias nationaux qui l’étrillent et le dissèquent depuis une dizaine de jours à travers moult enquêtes et portraits en tous genres.
Amorcer la posture victimaire
La substance de l’article tiré de l’entretien avec Jérôme Cahuzac permet de jeter les fondations d’une posture qui va sans doute être la ligne de défense des prochains mois de l’ancien ministre. Dans cet article, le registre victimaire est esquissé assez clairement. On y parle d’un homme quasi esseulé, traqué par les journalistes, déménageant d’un hébergement à un autre tous les deux jours au point même de peut-être devoir dormir dans sa voiture. Jérôme Cahuzac n’a en tout cas pas démenti ce point. Se dessine alors en creux l’image d’un homme blessé mais pas encore mort ainsi que d’un politique profondément dépité d’être celui qui paie (injustement à ses yeux) pour tous les autres encore à l’abri des scoops journalistiques et des investigations judiciaires.
Cette carte du bouc émissaire d’un système qui serait plus dévoyé qu’il ne l’admet, est probablement l’unique option communicante qui s’offre à Jérôme Cahuzac. Quelle qu’elle soit, la victime est en effet littéralement devenue une figure de proue essentielle de la scène médiatique. Quiconque endosse ce rôle peut espérer une certaine compassion qui amplifiera les préjudices subis (et les réparations qui vont avec) et atténuera les éventuels délits commis (et les sanctions qui vont de pair). Dans un essai particulièrement pertinent intitulé « Eloge de la barbarie judiciaire » et paru en 2004, l’avocat Thierry Levy avait d’ailleurs stigmatisé cette propension sociétale à l’égard de la victime ou se disant comme telle : « A défaut d’exercer un pouvoir sur autrui, chacun d’entre nous pourra se poser en victime de quelque chose et réclamer à ce titre protection et reconnaissance ».
Baliser les prochaines échéances
La tonalité des confessions accordées à la Dépêche du Midi s’inscrit totalement dans le registre d’un homme déboulonné, abandonné et désigné à la vindicte de tous. Certains et non des moindres se sont d’ailleurs émus publiquement de la curée virulente réservée à Jérôme Cahuzac. Le 4 avril, Alain Juppé avait par exemple tweeté : « Jérôme Cahuzac est un homme à terre. On peut piétiner un homme à terre. Ce n’est pas ma façon de me comporter ».
Bien que l’on devine entre les lignes que Jérôme Cahuzac ne sera pas forcément homme à se laisser abattre gratuitement, ni servir de paillasson déontologique à peu de frais pour la classe politicienne, introduire un peu d’humanité chez un homme qui avait la réputation d’en manquer et d’être une arrogance cassante, n’est pas forcément inutile pour affronter les prochaines échéances qui l’attendent. En effet, même si l’emballement médiatique finira par s’estomper, Jérôme Cahuzac va continuer d’alimenter la chronique éditoriale et judiciaire : enquêtes policières sur les supposés faits de blanchiment et fraude fiscale, conflictuelle procédure de divorce en cours d’avec son épouse et peut-être d’autres investigations sur ses collusions suspectées avec l’industrie pharmaceutique. Cela fait au final beaucoup pour un seul homme !
Mettre la pression sur ses ex-amis
Dans cette opération de reconquête de la dernière chance, l’enjeu est sûrement d’arriver à se ménager une porte de sortie honorable qui lui permette au final soit de revenir en politique, soit de retrouver une profession qu’il pourra exercer sans systématiquement voir cette actualité poisseuse ressurgir à tout instant. La marge de manœuvre est très étroite compte-tenu de la lourdeur du dossier Cahuzac et de la déflagration provoquée dans l’opinion publique.
Néanmoins, en distillant à la fois des confidences d’homme blessé mais peu disposé à se laisser enfoncer, Jérôme Cahuzac envoie en parallèle un signal à ses ex-compères gouvernementaux et plus généralement au corps politique. Au regard des hautes fonctions qu’il a exercées et des dossiers dont il a eu forcément connaissance, cela peut être une manière subtile de dire qu’il ne faudrait pas trop vite le crucifier lui seul sur l’autel de la respectabilité. Surtout si son attitude victimaire parvient à rallier des supports estimant que Cahuzac ne peut être le seul et unique débiteur de cette sale affaire.
Conclusion – Une stratégie à double tranchant
Le contrefeu allumé dans la Dépêche du Midi va sans nul doute permettre de tester les réactions tout en commençant à brosser une autre image de Jérôme Cahuzac par rapport à celle désastreuse qui prévaut aujourd’hui. Il est évident que l’article ne suffira pas à lui seul à rehausser une réputation plus que sérieusement cabossé. Cependant, à l’instar d’un DSK qui avait commenté par la suite et nuancé ses avatars du Sofitel de New York pour diluer l’onde choc, l’ex-ministre du Budget semble emprunter le même chemin tactique.
Cette approche n’est pas sans risque. Au-delà du fait qu’elle puisse ne pas susciter l’écho et l’adhésion espérés, elle est aussi conditionnée à de potentielles révélations qui ne seraient pas encore publiques à l’heure d’aujourd’hui. Si jamais d’autres éléments graves à charge surgissaient et s’ajoutaient aux faits connus, la fenêtre de tir inaugurée par Cahuzac s’en verrait d’autant plus diminuée, voire réduite à néant. La partie de bras-de-fer communicant est donc loin d’être achevée. Une partie dans laquelle la communication de Jérôme Cahuzac sera en permanence sur le fil du rasoir !