Equipe de France : 5 reproches et une image en berne
Ils sont célèbres, ils sont riches, ils vont disputer la plus prestigieuse et la plus enviée des compétitions sportives. Certains sont des gravures de mode que s’arrachent les magazines féminins. D’autres sont courtisés par les publicitaires pour vanter des voitures, des confiseries, des téléphones ou des banques. Pourtant à l’aube de leur premier match de la Coupe du Monde 2010, c’est un canardage public en règle qui s’abat sur l’équipe de France de football. Panorama des 5 reproches majeurs qui ne sont pas si nouveaux qu’on le croit.
En mai dernier, le quotidien sportif L’Equipe et l’institut de sondage IFOP ont mené une enquête d’opinion auprès de 5400 personnes dans 9 pays pour mesurer la cote de popularité des équipes en lice pour la Coupe du Monde de football qui démarre le 11 juin en Afrique du Sud. Le résultat est impitoyable pour les Bleus de Raymond Domenech. Si la France monte effectivement sur un podium du sondage, c’est pour le classement peu glorieux de la sélection la moins aimée : 2ème derrière l’Argentine. En revanche, au tableau des équipes chéries, la France se traîne en queue de peloton avec 4% des voix, loin derrière le fantasmatique Brésil (28% des suffrages).
Du côté des parieurs, le climat n’est guère plus serein. Les sites de pronostics sportifs ont fait leurs estimations. Verdict de Betclic et Bwin (1) : la probabilité qu’ont les Bleus d’ajouter une deuxième étoile à leur maillot, est fixée à 15 contre 1. Loin des deux grandissimes favoris, le Brésil et l’Espagne qui recueillent chacun 5 contre 1. Un pessimisme statistique qui a incité deux enseignes de distribution à ouvertement parier sur une défaite de la France. Pour attirer le chaland et doper les ventes, Saturn et Carrefour offrent aux acquéreurs de téléviseurs, le remboursement intégral de leur achat si la France décroche le trophée ultime. Un plan marketing surprenant surtout de la part de Carrefour qui est par ailleurs l’un des sponsors officiels de la sélection tricolore !
L’opportunisme commercial vachard d’un des sponsors n’est qu’un avatar supplémentaire du désamour que la France nourrit à l’égard des Bleus. Plus ou moins latent depuis 2006 mais prioritairement focalisé sur la personnalité complexe et provocatrice du coach, Raymond Domenech et sur sa stratégie sportive plutôt erratique, le fossé s’est clairement accru depuis la qualification bien peu éthique obtenue aux dépens de l’Eire, le 18 novembre 2009. En l’espace de quelques mois, des reproches d’origines diverses mais unanimement acerbes ont convergé autour de l’équipe de France pour aboutir au déficit d’amour et de soutien qui prévaut à quelques heures de France-Uruguay. D’ailleurs, Pizza Hut ne s’y est pas trompé. En Irlande, la célèbre enseigne offre jusqu’à 350 pizzas gratuites pour chaque but encaissé par l’équipe de France pendant la compétition.
Reproche n°1 : des tricheurs qui ont volé leur qualification
Il y avait jusqu’à présent la « main de Dieu » de Diego Maradona opérée lors d’un quart de finale de la Coupe du Monde de 1986 au cours duquel « el Pibe de Oro » crucifiait l’Angleterre d’une claquette de volleyeur. Elle est désormais reléguée au rang d’anecdote plaisante et un peu surannée tellement la main de Thierry Henry a déclenché une polémique à la limite de l’incident diplomatique avec le monde anglo-saxon et les puristes de l’éthique sportive. La 102ème minute du match de qualification France-Eire entachera pour longtemps la réputation de l’équipe de France et de son meilleur buteur de tous les temps, Thierry Henry. Alors que les Bleus sont à la dérive face à des Irlandais physiques et survoltés, Thierry Henry accomplit une passe décisive de la main et offre le but salvateur synonyme de Coupe du Monde à William Gallas.
Il s’est alors ensuivi un débat outragé où d’aucuns font pression sur les instances internationales du football pour rejouer le match. Une fois n’est pas coutume, la classe politique fait bloc et brandit un consensuel carton rouge aux joueurs et au sélectionneur. Les médias du monde entier se gargarisent de cette tricherie que le malheureux arbitre suédois du match n’a pas vue. Sur Internet, l’ambiance est à l’estocade avec une avalanche sans fin de parodies, de jeux vidéo moqueurs, de commentaires outrés et une cible toute trouvée : Thierry Henry. Ce dernier fait même l’objet d’un site Web dédié où il est puissamment étrillé.
Le 4 décembre 2009, les Français réveillent et excitent à leur corps défendant les passions lorsque le tirage au sort des groupes de la Coupe du Monde leur attribue la poule qualificative a priori la plus clémente avec l’Afrique du Sud, le Mexique et l’Uruguay comme adversaires. Déjà considérés comme des tricheurs aux yeux du monde, les voici désormais affublés d’une « chance » insolente et forcément injuste !
En attendant, qui se souvient que le petit prodige argentin, Lionel Messi a lui aussi marqué de la main en juin 2007 lors d’une rencontre du championnat espagnol ?
Reproche n°2 : des dépravés aux mauvaises passes
En plus d’être des tricheurs, les joueurs de l’équipe de France apparaissent également comme des noceurs impénitents. L’un d’entre eux, Sydney Govou que certains ont surnommé « Whisky Coca », a défrayé plusieurs fois la chronique des faits divers. Une première fois privé de permis pour conduite en état d’ébriété, l’ailier droit de l’Olympique Lyonnais et des Bleus se fait à nouveau pincer fin octobre 2009 en étant ivre mort dans une boîte de nuit. Pour le public, l’image n’est pas tellement compatible avec celle d’un sportif haut niveau à l’hygiène de vie irréprochable.
Toutefois, cet écart de conduite n’est quasiment rien au regard de la sulfureuse affaire Zahia. En avril 2009, la chaîne M6 révèle que trois internationaux français vont être entendus par la police dans le cadre d’une enquête sur un réseau de proxénétisme. Très vite, trois noms tombent en pâture dans l’arène médiatique : Sydney Govou, Karim Benzema et le populaire Franck Ribéry.
Pour ce dernier, la révélation de ses frasques d’alcôve avec la jeune Zahia vont pulvériser l’image du bon gars du Nord tranquille, converti à l’islam et amoureux de sa femme Wahiba. Franck Ribéry n’est certes pas le premier joueur de football mêlé à une affaire de mœurs. En Angleterre comme en Italie, les ragots croustillants de « veline » (surnom transalpin donné aux jeunes starlettes qui papillonnent de très près autour des joueurs) sont légion et quasi pain quotidien des médias italiens. Néanmoins, si le cas Ribéry choque l’opinion, c’est parce qu’il incarnait jusqu’alors le sportif potache avec ses coéquipiers mais sérieux dans son métier. Parce qu’il incarne aussi plus ou moins le joueur emblématique d’une équipe de France désormais orpheline de Zinedine Zidane.
L’affaire déclenche en tout cas une polémique autour des prostituées qui gravitent dans le monde du football. Elle ternit la réputation de « bon père de famille » que les joueurs de l’équipe de France devraient en principe entretenir, ne serait-ce que pour les sponsors et à laquelle l’opinion a envie de croire.
En attendant, qui se souvient de George Best, le légendaire attaquant anglais, qui a consumé sa vie dans les pubs et les petites pépés ou encore Ronaldo en surcharge pondérale à cause de la bière et pris la main dans le sac avec des travestis ?
Reproche n°3 : des stars bling-bling indécentes
Récurrent à mesure que les zéros augmentent chaque année dans les transferts et les rémunérations de joueurs, le reproche est monté d’un cran avec l’équipe de France. En ces temps de morosité économique, l’affichage un peu trop voyant d’un style de vie clinquant n’est pas du meilleur effet. Or, à ce jeu de l’exhibition bling-bling et parvenue, les footballeurs ne sont pas effectivement les derniers. Toujours au volant de puissantes voitures de sport ou d’énormes 4X4 aux vitres teintées, toujours vêtus de fringues branchées et hors de prix, la plupart ne cultive pas la discrétion et la sobriété matérielle.
Pour la presse sportive, publier un dossier sur les salaires et les contrats publicitaires des joueurs est d’ailleurs l’assurance de belles ventes en kiosques tellement les sommes perçues par les footballeurs équivalent à des décennies de modestes revenus pour un smicard. Aussi, lorsqu’un joueur revêt la tunique bleue de l’équipe de France, il passe dans une catégorie où les zéros s’additionnent encore plus vite.
C’est le cas par exemple du petit dernier de l’équipe de France, Mathieu Valbuena. Rétribué (2) 15 000 € en 2006 par son club, l’Olympique de Marseille, et longtemps considéré comme une option secondaire à la limite d’être transféré, il a éclaté au grand jour en 2010 au point d’être maintenant sélectionné pour la Coupe du Monde. Aujourd’hui, il touche 10 fois plus et roule en sportive de luxe.
Les chiffres sont systématiquement et complaisamment dévoilés par la presse. En décembre 2009, ce sont les 862 000 € de prime de qualification touchée par Raymond Domenech qui font la Une et grincer les dents par la même occasion. Rebelote début juin avec la négociation rondement menée par le capitaine Patrice Evra au sujet des primes allouées aux joueurs en cas d’accès aux 8èmes de finale et au-delà (soit 390 000 € au total s’ils accèdent en finale).
C’est sans compter avec la saillie verbale de la secrétaire d’Etat à la Jeunesse et au Sport, Rama Yade qui s’indigne alors du luxe de l’hôtel où résident les joueurs en Afrique du Sud et du prix unitaire de la nuitée, à savoir plus de 400 € par chambre. Et de citer le cas des joueurs espagnols qui ont choisi d’être hébergés dans un campus universitaire plus modeste. Ces mêmes Hispaniques qui en plus, ne veulent pas bénéficier de primes avant les quarts de finale !
En attendant, qui se souvient qu’en 1978, le mythique défenseur de l’équipe de France, Marius Trésor, négociait âprement des primes avec l’équipementier Adidas et que devant le refus de payer plus, les joueurs passèrent leurs chaussures au cirage noir pour maquiller les logos de la marque ?
Reproche n°4 : des stars inapprochables
Sans doute effet pervers de la médiatisation à outrance que l’équipe de France connaît depuis sa victoire à la Coupe du Monde de 1998, la communication du staff et des joueurs est de plus en plus calibrée. Des anciennes gloires des Bleus s’en désolent comme Christian Lopez qui fut défenseur de Saint-Etienne et compte 39 sélections (3) : « Les rapports qu’on avait avec la presse étaient complètement différents. Quand je jouais à Saint-Etienne, on se faisait un resto après les matches et si on croisait des journalistes, on les invitait à notre table. Nos relations étaient amicales ».
Force est de constater que les choses ont bien changé. Les joueurs cherchent désormais à esquiver les questions de la presse ou débitent alors des phrases convenues lors des conférences officielles. Jusqu’à adopter des postures mutiques et radicales comme William Gallas.
Le 9 juin, il sèche une conférence de presse tout en faisant savoir qu’il refusera de s’exprimer pendant toute la durée de la compétition. Les journalistes ont évidemment peu goûté ce boycott. En retour, certains l’interprètent comme une réaction de dépit à cause d’un brassard de capitaine de l’équipe désormais confié à Patrice Evra. A voir !
Cette distance en tout cas est également critiquée par les supporters. Lors du stage de préparation à Tignes en mai dernier, beaucoup ont regretté de ne pas pouvoir approcher de près leurs idoles, décrocher un autographe ou une photo souvenir avec leur joueur préféré. Résultat : ils sont considérés comme des frimeurs atteints du syndrome de la grosse tête. Apparemment, les Bleus n’en ont cure puisqu’ils subissent les mêmes reproches de la population locale en Afrique du Sud. Celle-ci leur préfère du coup les Danois qui les accueillent à bras ouvert lors des entraînements.
En attendant, qui se souvient qu’on avait précisément reproché à l’équipe de France lors de la Coupe du Monde 2002 d’avoir transformé le camp de préparation de Clairefontaine en moulin à vent où sponsors et invités de marque défilaient en permanence pour solliciter les joueurs les empêchant ainsi de se concentrer sur les échéances sportives ?
Reproche n°5 : « pas Français »
C’est le plus nauséabond des reproches adressés à l’équipe de France. Néanmoins, il concourt à nourrir l’impopularité des Bleus auprès d’une certaine frange de la population française pas si minoritaire que cela (malheureusement). Jean-Marie Le Pen et Georges Frêche avaient déjà tiré sur la grosse ficelle de la couleur de peau pour stigmatiser la représentativité de l’équipe de France.
Marine Le Pen ne s’est pas privé le 3 juin dernier d’entonner la même rengaine en estimant lors d’une interview radio que certains joueurs avaient une « autre nationalité de cœur ». Une ellipse bien hypocrite pour cibler les joueurs noirs de l’équipe de France aux origines africaines, voire nés en Afrique.
Même si les tenants du séduisant concept du melting-pot incarné en son temps par le slogan « Black, Blanc, Beur » de la Coupe du Monde 1998 refusent d’admettre ouvertement ce problème, l’équipe de France est plongée au cœur même des problématiques sociales actuelle. Un point qui n’a d’ailleurs pas échappé à Raymond Domenech. Dans un livre récent consacré au sport et à Nicolas Sarkozy (4), Bruno Jeudy et Karim Nedjari racontent que le sélectionneur a organisé des débats sur l’identité nationale entre les joueurs et des historiens. Preuve en est que le sujet est bien sensible.
En attendant, qui se souvient que Larbi Ben Barek, un milieu de terrain élégant qui fit les beaux jours de l’équipe de France dans les années 30/40 ou la charnière défensive surnommée « la garde noire » et composée de Marius Trésor et Jean-Pierre Adams dans les années 70 ?
Conclusion : Et si l’équipe de France nous réconciliait ?
Certes, les matchs amicaux qui ont précédé la compétition officielle et l’entêtement de Raymond Domenech à maintenir certains joueurs contestés peuvent légitimement susciter le doute. Pour autant, ce n’est pas la première fois que les Bleus vont démarrer un grand rendez-vous sportif sous une bordée de critiques. Les icônes désormais intouchables de 1998 et leur entraîneur de l’époque, Aimé Jacquet, avaient démarré dans un climat similaire de suspicion et de contestation. On sait ce qu’il est advenu et comment tout un peuple gaulois s’est soudainement épris d’une équipe pourtant vilipendé avant le coup d’envoi.
Alors bis repetita placent ? Il y en a au moins un qui est persuadé que l’adversité hexagonale que l’équipe de France doit actuellement affronter, va servir de motivation pour faire taire les critiques. Il s’agit de l’attaquant Djibril Cissé qui déclare (5) : « Retourner les gens, c’est notre moteur ». S’il y a un domaine où les Français sont effectivement champions du monde, c’est bien dans l’art de la versatilité !
Pour en savoir plus
– Pour lire autrement sur l’actualité du football, le magazine et le site « So Foot » excellent avec un ton à la fois impertinent, connaisseur et original
– Lire les chroniques du blog de l’ancien joueur international, Vikash Dhorasoo et notamment le post intitulé « Les jeux du stade »
– Lire l’analyse complète de Philippe Bertrand sur le site des Echos – « Le football français en déficit de com » – 27 mars 2010
Sources
1 – Sandrine Cassini – « Les Bleus affichent une cote de gros outsider » – La Tribune – 9 juin 2010
2 – Géraldine Catalano – « Les secrets des Bleus » – L’Express – 26 mai 2010
3 – Myriam Alizon – « Christian Lopez, consultant vintage » – L’Equipe Magazine – 29 mai 2010
4 – Bruno Jeudy et Karim Nedjari – Sarkozy côté vestiaires – Plon – 2010
5 – Gérard Davet – « Les Bleus se réfugient derrière l’esprit de groupe » – Le Monde – 11 juin 2010
2 commentaires sur “Equipe de France : 5 reproches et une image en berne”-
Olivier Cimelière -
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Herve -
Même cause et même effet pour moi … Notre séminaire d’entreprise va être abrégé .. Du moins j’espère ! Pas envie de louper ce dernier match qui sera peut-être décisif !
Et en plus, à cause de leur dernier match, je vais être obligé de décaler la conférence Media Aces d’une heure…
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