Sécurité routière : un spot trash peut-il réduire la mortalité des jeunes au volant ?
Il faudrait être totalement inhumain pour ne pas être pris aux tripes par le visionnage du nouveau spot de la Sécurité Routière. Dans la lignée de la première génération projetée l’an passé, le film narre tel un reportage caméra sur épaule, la virée nocturne alcoolisée d’une bande de jeunes qui s’achève tragiquement dans le sang et la tôle froissée.
A coups de plans-séquences au scalpel, les scènes s’enchaînent vers l’inéluctable drame comme il s’en produit malheureusement tous les week-ends sur les routes de France. Le film sera diffusé à la télévision et sur Internet à la veille des vacances de la Toussaint, une période accidentogène particulièrement critique. Mais est-ce réellement suffisant pour enrayer cette inacceptable hécatombe ?
Un constat effrayant
C’est une évidence statistique terrible qu’il convient de marteler. 16 jeunes entre 18 et 24 ans ont perdu la vie sur les routes de France chaque semaine de l’année 2010. Avec encore et toujours l’alcool comme première cause de mortalité chez les conducteurs de moins de 24 ans. C’est dans cette optique que la Sécurité Routière a décidé de récidiver avec un film « coup de poing » pour sensibiliser les jeunes sur les conséquences de la conduite sous l’emprise de l’alcool. Finies les campagnes primesautières un peu franchouillardes autour du « Un verre, ça va. Trois verres, bonjour les dégâts ». Place au trash sans concessions et sans fard !
Cette fois encore, la Sécurité Routière s’inspire de l’approche sanguinolente qui prévaut depuis longtemps chez ses homologues britanniques, eux-mêmes confrontés au « binge drinking » de leur jeunesse. L’idée est de marquer les esprits par l’horreur des images, l’absurdité de ces déviances alcooliques et la détresse des familles et des proches face à la perte d’un enfant. Le parti-pris est fort mais interpelle-t-il vraiment la bonne cible ? C’est-à-dire celle qui continue de perdre les siens dans un carnage hebdomadaire au gré des fiestas et des sorties arrosées en discothèque. Il est permis d’en douter même si l’intention de la Sécurité Routière demeure éminemment louable : épargner des vies inutilement fauchées pour quelques grammes d’alcool en trop.
D’abord parler aux jeunes eux-mêmes
En regardant les images de ce nouveau spot intitulé « Insoutenable » (un doux euphémisme tant rien de la réalité crue n’est escamoté), je ne suis pas certain qu’il parle autant au cœur et à la raison des 18-24 ans ou même des plus jeunes. Autant tout parent aura l’échine glacée à l’idée qu’un tel scénario macabre peut survenir à sa progéniture, autant les plus jeunes n’ont pas la même perception du risque sauf à l’avoir douloureusement expérimenté dans leur propre chair ou en perdant un pote ou un membre familial.
Mon épouse, Angélique, est psychologue clinicienne pour enfants et adolescents. Je l’ai interrogée sur cette notion de risque et de mort chez les jeunes adultes. Sa réponse est catégorique. Dans leur grande majorité, les garçons encore plus que les filles aiment flirter, voire repousser les limites. Ils ne se figurent pas un instant que certains comportements comme l’alcool au volant peuvent irréversiblement déboucher sur la mort. Cette perspective demeure encore absconse pour leur propre être ou en tout cas éloignée de leur quotidien.
Le nouveau film de la Sécurité Routière interpellera probablement les 18-24 ans sur le coup car l’histoire racontée est terriblement crédible et transposable dans l’univers de chacun. Pour autant, il risque fort d’être ensuite zappé très rapidement comme n’importe quelle vidéo avalée sur YouTube et consorts. Si une campagne de communication pouvait à elle seule stopper net le massacre routier qui décime les jeunes conducteurs depuis de nombreuses années, la Sécurité Routière n’en serait pas à devoir hausser toujours plus le ton et le choc des images.
Arrêtons de se donner « bonne conscience » avec un spot
Alerter est évidemment nécessaire mais parfois trop tard ou trop juste. C’est exactement le contexte qui prévaut pour les jeunes et l’alcool au volant. Le film de la Sécurité Routière n’est que la partie émergée d’un iceberg aux imbrications plus vastes et pour lesquelles il faudrait entreprendre durablement, une véritable stratégie de communication auprès de toutes les parties prenantes (jeunes évidemment mais aussi parents, élus, industriels, associations, enseignants et la liste n’est pas exhaustive). Le slogan ponctuant la fin du spot ne dit-il pas : « Sécurité Routière, tous responsables » ?
Avec cette signature, la Sécurité Routière met effectivement le doigt (volontairement ou pas ?) sur un écosystème où les jeunes sont les victimes d’une grosse hypocrisie sociétale. Un exemple ? Alors posons-nous ces simples questions. Qui organise à grand renfort d’hôtesses peinturlurées et gadgets à gogo des vastes échantillonnages de spiritueux divers en boîtes de nuit et autres afters ? Qui subventionne généreusement les fêtes d’écoles et d’université en livrant calicots, stickers et palettes entières d’alcools de toute sorte ? Quant à l’idée d’installer des éthylomètres dans les night-clubs, c’est encore une fois s’acheter une bonne conscience à vil prix. Tout le monde sait bien que ce gadget encouragera plus probablement un concours de beuverie qu’une prise de conscience de son alcoolémie !
Conclusion – Informer, toujours et encore
Pour éradiquer ou du moins atténuer le plus possible la mortalité des jeunes au volant, pourquoi ne pas investir dans des actions d’éducation inscrites au programme scolaire dès l’âge de 12/13 ans de manière pérenne ? Cela se pratique certes mais encore trop peu et plutôt sporadiquement. Pourquoi également ne pas plus s’appuyer sur les réseaux sociaux où sont justement les jeunes et partager avec eux des témoignages de médecins, de psychologues, de parents ayant perdu un enfant, d’accidentés ayant survécu, de policiers et d’ambulanciers ? Ces échanges auront plus d’impact que la seule diffusion d’un spot TV, si gore et bouleversant soit-il.
Enfin, appelons un chat un chat. Les alcooliers industriels ont leur part de responsabilité. N’y aurait-il pas un groupe prêt à investir dans la prévention et dans la mise en place de dispositifs d’accompagnement pour les jeunes fêtards rentrant chez eux. Il existe déjà des opérations comme « Rentrer en vie » où l’on désigne un capitaine de soirée qui ne boit pas ou « Nez Rouge » qui met un service de convoyage pour les conducteurs trop alcoolisées. Pourquoi ne pas considérablement étoffer ces dispositifs et les soutenir durablement ?
Ce qui est véritablement « insoutenable » est que les prochains week-ends vont encore être endeuillés par les mêmes causes que le film entend dénoncer. A ce stade, la communication n’est qu’un cautère sur une jambe de bois !
7 commentaires sur “Sécurité routière : un spot trash peut-il réduire la mortalité des jeunes au volant ?”-
Ehbendidon -
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Olivier Cimelière -
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Ehbendidon -
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Ehbendidon -
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Olivier Cimelière -
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Coupsdepub -
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Olivier Cimelière -
Bonsoir,
Il est vrai, et ce blog le montre, que l’on peut posément discerter sur ce qu’il faudrait faire ou non. En revanche, nous savons tous qu’entre ce que nous disons et faisons vraiment, il y a toujours un écart.
Si l’impact d’une campagne, car on a peu le temps d’expliquer ces choses dans le cadre d’une campagne « publicitaire », qui a un temps limité car un coût, avec des codes de communication qui sont différents des « actualités » ou des « autorités » ou des conversations avec les « parents/amis », peut contribuer à modifier des comportements, c’est tant mieux.
ON peut comprendre que la guerre, c’est pas bien, ça fait mal. Un film ou des images touchent plus profondément. Et malheureusement, si l’on veut que les actes changent, il y a un travail (d’une vie… la plus longue possible) de répétition et de rappel à faire.
Je suis aussi sensible aux images fortes et violentes. Mais malhreureusement, ces images montrent l’horreur de ces petits riens qui peuvent déterminer une vie ou une mort.
bonsoir ! merci pour le commentaire ! Je vous rassure, je ne suis pas contre cette campagne en elle-même ! Elle n’est pas inutile et si elle peut sauver quelques vies, elle aura déjà atteint un but .. mais sur la durée, si on veut éradiquer le problème, il faut impérativement envisager les choses au-delà qu’un unique spot !
Bonsoir Olivier.
On est tous d’accord. Mais chacun a un rôle car une campagne publicitaire (TV, affichage, etc) est complémentaire de la partie « répressive » (contrôles policiers, la « pression » pour demander des éthylotests dans les lieux de consommation tels les boîtes de nuit), les conseils d’amis, de parents, les campagnes de sensibilisation dans les écoles, etc. La télévision ne peut pas tout résoudre et une campagne tout au long de l’année (mais qui pourrait la financer ?) n’est pas possible. D’ailleurs, aurait-elle un effet supplémentaire et ne lasserait-elle pas sur la longueur ?
Bonsoir Olivier
Nous sommes tous d’accord. Chacun a un rôle a tenir et une campagne « publicitaire » ne peut pas tout faire. En revanche, elle a le mérite de faire parler (la preuve) et j’espère que le « buzz » va se faire pour que beaucoup regarde au moins une fois ce spot… Cette campagne est la version émergée de l’iceberg, en complément des contrôles sur les routes, de la « pression » pour imposer des éthylotests dans les lieux de consommation (cela peut paraître superficiel mais que peut-on faire dans un pays où un adulte est libre de consommer, sans limite… sauf s’il importune quelqu’un ou prend un volant ?), les conseils des amis (que l’un d’entre nous recommande de ne pas boire), des parents (qui ne sont pas vraiment écoutés par les enfants…), des campagnes de sensibilisation dans les écoles. Comment empêcher les « jeunes » de boire en soirée (je ne pense pas que ce soit le fait d’offrir des boissons gratuites qui incitent les « jeunes » à boire puis à conduire en état d’hébriété. L’augmentation du tabagisme chez les jeunes, malgré la hausse du prix du tabac montre que « l’image » de boire – et fumer – fait jeune, insouciant, décontracté). La responsabilité, cependant, de conduire en état d’hébriété est au coeur du sujet. D’où la force d’une campagne montrant l’autre versant de la soirée « fun/déjantée » quand on prend le volant. La faire passer plus souvent, plus longtemps n’augmentera pas l’effet. Tous ensemble !
Bonsoir. Jean-Jacques
Bonjour
J’ai quand même un doute sur les boissons gratuites à gogo offertes dans les discothèques et les soirées étudiantes. On peut effectivement décider de ne pas boire mais pris dans la fête et la facilité de boire des coups, la cuite est vite arrivée. J’ai connu aussi cette période et je ne suis pas fier d’être ensuite rentré avec ma voiture. J’ai eu de la chance et mesure aujourd’hui toute l’irresponsabilité de mon geste de gamin. L’idée n’est pas d’interdire de boire mais de limiter la casse. C’est pourquoi les dispositifs d’accompagnement comme Nez Rouge, Capitaine de soirée etc me semblent des voies à creuser !
Autant je te rejoins sur les suggestions d’actions d’éducation (couplées avec des actions un peu différentes des « classiques » spots et affiches également), autant sur le côté « il ne sert à rien de choquer, ça ne fait pas passer le message », je ne suis pas d’accord.
Les pays anglo saxons ont des spots beaucoup plus choquants que les nôtres, ils vont plus loin dans le trash. Et plus ils vont loin, moins ils ont d’accidentés sur les routes…
Enfin, le spot « Insoutenable » (bien nommé) ne cherche pas à choquer pour le plaisir, il n’en rajoute pas. Il ne fait que présenter les images cruelles et difficiles de la réalité. Le cinéma de la vie, en somme.
Bonjour Arnaud. Merci pour ce commentaire !
Ce n’est pas tellement le côté trash du spot qui m’inquiète même si à titre perso, je ne raffole pas des trucs violents quand bien même cela reflète l’exacte vérité. J’ai toujours eu des doutes sur l’aspect éducatif de montrer le visage de la violence. Mais j’admets que la question reste ouverte. Quand on regarde certains films de guerre réalistes, on se dit pourtant : « plus jamais çà! ».
C’est surtout l’aspect ponctuel du spot qui m’interroge. Pourquoi seulement maintenant ? Parce que la Toussaint est statistiquement plus accidentogène que les autres ? C’est un peu court comme tactique communicante.
Enfin, c’est vrai que les anglosaxons sont encore plus durs dans le registre hémoglobine !
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