La com’ d’Apple est-elle usée jusqu’au trognon ?

Ils en rêvaient tous mais Apple ne l’a pas fait. Après des semaines d’intenses spéculations et de rêves de fans, la montagne iPhone 5 a accouché d’une souris iPhone 4S. La double peine n’a guère tardé à tomber : chute du cours de la firme de Cupertino  à Wall Street et déchaînement critique des geeks, des médias et des aficionados de la Pomme sur la toile. S’agit-il juste d’un pépin anecdotique ou y a-t-il quelque chose de pourri au royaume de la com de la Pomme ?

Comme à son habitude, Apple avait pourtant exécuté avec dextérité son opération de teasing pour préparer le lancement de son nouveau téléphone mobile et entretenir le suspense. A tel point que le coup du prototype malencontreusement égaré par un employé d’Apple dans un improbable restaurant mexicain de San Francisco avait été rejoué durant l’été 2011 par la firme de Cupertino selon le site spécialisé CNET.

Un plan com’ rodé

C’est dans ce bar mexicain de San Francisco que le proto du nouvel iPhone se serait égaré (photo James Martin – CNET)

Dans un scénario digne  des meilleurs policiers américains qui avait déjà servi de prélude un an plus tôt pour l’apparition de l’iPhone4, la police et la firme de Cupertino ont rondement mené les investigations pour retrouver le précieux objet disparu. De quoi aussitôt enflammer la blogosphère qui élabore alors conjecture sur conjecture sur ce qui pourrait être le futur iPhone 5 que tout l’écosystème des Applemaniacs attend avec dévotion. Dans cette prolifique partie de Cluedo, les médias ne sont pas les derniers à s’emparer de l’affaire et couvrent à leur tour la mystérieuse disparition. Fin du premier acte : la com’ est lancée et tout le monde est en effervescence.

Dès lors, chacun y va de son hypothèse. Ainsi, vidéo d’anticipation à l’appui, le site spécialisé Gizmodo croit savoir que (1) « Apple a fait évoluer la forme de son terminal vedette. L’iPhone 5 est plus mince mais suffisamment costaud pour faire une grosse différence ». De son côté, Bloomberg croit savoir selon une source bien informée que (2) «  des services sous technologie NFC seront embarqués dans la nouvelle version de l’Iphone qui pourrait être dévoilée cette année ». Et chacun d’y aller de son scoop exclusif, quitte à se contredire … ou s’approcher sans le savoir de ce qui sera finalement la vérité que chacun connaît depuis mardi 4 octobre ainsi que le compile ironiquement l’excellent article du site américain Gawker (3).

Apple surfe sur le buzz

Toute la communauté s’attend à un saut quantique technologique et design à l’instar de celui opéré entre l’iPhone3 et l’iPhone4

D’ordinaire nettement plus tatillonne dès lors qu’il s’agit de faire rectifier certaines informations parues à son endroit, la firme de Cupertino ne pipe mot à aucun moment, notamment lorsque les rédacteurs utilisent abondamment l’appellation « iPhone 5 ». A mesure que les articles paraissent aux Etats-Unis et dans le reste du monde, le terme générique s’impose subtilement comme une évidence dans tous les esprits qu’ils soient journalistes, blogueurs, analystes, experts techniques et amoureux de la marque. En d’autres termes, toute la communauté s’attend à un saut quantique technologique et design à l’instar de celui opéré entre l’iPhone3 et l’iPhone4.

La magie Apple opère d’autant plus à fond que c’est à la même période que le charismatique Steve Jobs annonce que sa maladie le contraint à céder les rênes de la destinée de l’entreprise à son fidèle bras droit Tim Cook à l’expertise avérée mais au profil plus technique et gestionnaire que l’imaginatif et disruptif n°1. La nouvelle du mauvais bulletin de santé avait d’ailleurs fait dévisser de 5% l’action Apple tellement le génial créateur est intrinsèquement associé au succès de la firme. Autant dire qu’avoir un nouveau produit dans la lignée de ses illustres prédécesseurs devient une carte indispensable pour contrer les analyses pessimistes sur l’après-Jobs.

Un seul chiffre vous manque et tout est dépeuplé !

Une présentation attendue mais décevante au final !

La tension et l’excitation étaient donc à leur comble lorsque sont parties les premières  invitations à assister au Keynote Apple du 4 octobre mené pour la première fois par Tim Cook en l’absence du démiurge de Cupertino. Intitulé « Let’s talk iPhone », le programme semblait très alléchant. Enfin, on allait savoir ce que les ingénieurs de la pomme avaient concocté pendant les 16 mois de développement du nouveau mobile (alors que d’ordinaire les cycles sont en moyenne de 12 mois chez Apple). Quelle révolution Apple allait-il annoncer ? Quel coup d’enfer allait-il jouer à la barbe de ses concurrents ?

Et là, patatras ! Point d’iPhone5 au rendez-vous mais un iPhone4 accolé d’un « S » pour signifier l’évolution introduite dans le nouveau mobile. Comme un amoureux transi éconduit, la communauté tombe des nues et ne tarde pas à laisser hurler sa déception. C’est d’abord la prestation oratoire de Tim Cook qui est jugée terne par rapport aux envolées quasi mystiques et inspirées de Steve Jobs.

Mais au-delà du numéro d’acteur en deçà des attentes, c’est surtout l’appareil lui-même qui cristallise les commentaires acerbes. Ceux qui espéraient une petite bombe design sont énervés de voir un iPhone4 à peine customisé. Ceux qui pariaient sur des ruptures technologiques fortes (comme par exemple la compatibilité des téléphones avec les réseaux mobiles très haut débit du futur 4G/LTE) en sont pour leurs frais. Il y a certes des nouvelles caractéristiques comme une caméra haute définition, un double processeur qui dope la puissance de l’appareil ou Siri, le logiciel de reconnaissance vocale qui permet de communiquer encore plus facilement avec son mobile. Mais cela ne suffit pas à déclencher l’enthousiasme de l’écosystème habitué à plus d’inventivité.

Apple, victime de sa propre image ?

Les retombées presse sont en effet d’une tonalité en règle générale très critique

Toujours prompt à frôler les limites de l’arrogance en n’hésitant pas même parfois à dénigrer les concurrents, Apple a toujours cultivé une communication bodybuildée où la technologie se conjugue harmonieusement avec le rêve et une certaine forme de statut de pionnier pour qui possède un terminal Apple. Même lorsque la marque a dû affronter des crises comme les explosions intempestives des écrans des iPhone3, elle n’a jamais vraiment été ébranlée ni sur les médias sociaux (hormis quelques anti-Apple notoires), ni dans les médias classiques qui ont modérément couvert l’affaire. Un tour de force d’autant plus impressionnant que la firme de Cupertino n’a cédé à aucun moment à la tentation de la transparence pour expliquer les anomalies rencontrées tellement elle se perçoit comme immunisée par la puissance onirique dégagée par la marque Apple.

Cela signifie-t-il désormais que l’iPhone4 S sera un flop retentissant et la marque entachée ? Les retombées presse sont en effet d’une tonalité en règle générale très critique. Comme l’écrit la newsletter spécialisée PaidContent (4) : « Oui, l’iPhone4S est incontestablement le plus petit saut réalisé en termes d’iPhone depuis son tout premier lancement. Et oui, nombre des applications présentées dans le nouvel appareil peuvent déjà être trouvées sur des terminaux concurrents fonctionnant sous Google Android comme la recherche et la navigation par reconnaissance vocale, les mises à jour logicielles sans fil et les processeurs double-cœur ».

En plus de bien refléter les réactions globales, la charge est d’autant plus lourde que c’est précisément tout l’argumentaire communicant qu’Apple a choisi de décliner dans son film promotionnel pour vanter les mérites de son dernier petit bijou technologique. Un film d’ailleurs étonnant tant Apple avait habitué à des films ressemblant moins à de studieux exposés d’ingénieurs enthousiastes pour privilégier des histoires autour des utilisateurs et des infinis possibilités qui leur étaient offertes en achetant un iPhone.

D’ailleurs, côté blogosphère et mêmes sites de d’Applemaniacs, c’est la douche froide et les remarques virulentes abondent à tel point que certains menacent même d’aller voir chez les concurrents d’Apple. D’autres petits malins malveillants ont même saisi la balle au bond en faisant circuler un spam faisant croire qu’un iPhone5G S apparaîtra d’ici la fin de la semaine (5). En fait, il s’agit d’un virus à ne surtout pas télécharger au risque de voir son appareil piraté. Fâcheux  détournement s’il en est !

Conclusion

Pour Apple, l’enjeu de communication réside désormais dans la capacité à dépasser cet instant de grande déception et de revenir aux fondamentaux. Même si l’iPhone4 S n’est pas le mobile 100% disruptif que la communauté exigeait initialement, il s’inscrit malgré tout parmi les smartphones les plus à la pointe du marché. D’ailleurs, ce n’est sans doute pas par hasard qu’Apple a abondamment glosé sur Siri, le logiciel de reconnaissance vocale, sa caméra digitale ultra-performante et bien d’autres caractéristiques techniques qui font de l’iPhone4 S un prétendant sérieux sur le segment des smartphones.

En revanche, la firme de Cupertino aurait tout intérêt à savoir descendre un peu plus de son piédestal dominateur pour écouter les différentes parties prenantes. Elle n’y perdra pas de sa magie mais elle y gagnera un peu plus en humilité et proximité. Ne pas le faire pourrait alors à terme l’exposer à des dommages collatéraux plus impactants en cas de crise et/ou de dysfonctionnement d’un de ses produits, voire de flop commercial. C’est d’autant plus important que l’atout maître Steve Jobs n’est plus en état de délivrer ses oracles si fascinants et d’estomper les failles naissantes.

Sources

(1) – Sam Biddle – « Why Wait? The world’s first iPhone review » – Gizmodo – 30 septembre 2011
(2) – Olga Kharif – « Apple plans service that lets iPhone users pay with handsets » – Bloomberg – 25 janvier 2011
(3) – Ryan Tate – « The iPhone 5 Failboard: How everyone got it wrong » – Gawker – 4 octobre 2011
(4) – Tom Krazit – « Why the disappointment over the iPhone 4S launch means nothing » – Paid Content – 4 octobre 2011
(5) – Jérôme G. – « L’iPhone 5 est un malware » – Génération NT – 5 octobre 2011

Pour en savoir plus

– Greg Sandoval & Declan McCullagh – « Apple loses another unreleased iPhone » – CNET – 31 août 2011
– Camille Gévaudan – « Iphone 4S : La petite annonce » – Libération.fr – 4 octobre 2011



6 commentaires sur “La com’ d’Apple est-elle usée jusqu’au trognon ?

  1. Nicolas Gut  - 

    Apple, victime de sa communication ? Intéressant comme concept né dans l’esprit de ceux qui ne connaissent pas bien la firme à la pomme. Ceux qui arrivés sur le tard avec l’iPod, ou pire, avec l’iPhone, imaginent qu’on crée une telle révolution high tech en répondant aux envies des consommateurs et en s’inquiétant des rumeurs.
    Les newbies du Mac sont ceux là même qui s’enflamment et qui pensent qu’on va leur en donner toujours plus pour satisfont le soif insatiables de surconsommateurs. La bourse, faut-il en parler ? Prête à détruire n’importe quoi si on ne répond pas au moindre de ses désirs et angoisses.
    Mais voilà, les rumeurs quelle qu’elles soient font la pub d’Apple en flux continu et ceux-là même qui ont colportés assidument les messages, ceux-là même qui crient à la déception face au 4S, sont ceux qui l’achèteront en attendant le 5, l’année prochaine. Le ridicule ne tue pas.
    Think different… Ce n’est manifestement pas donné à tout le monde et acheter du matériel Apple pour suivre la tendance ne fait pas du switcher un Apple Fan…
    Apple victime ? Sérieusement… Apple, puppet master, oui. Comment en douter.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour ! Intéressante remarque. Je ne suis pas forcément en ligne sur tout d’autant plus que j’ai découvert Apple en 1982 lorsque mon père a acheté un Apple IIe … Depuis, on a connu toute la génération. Mon billet n’a rien d’anti-communication d’Apple. Je m’interroge juste (surtout depuis la disparition de Steve jobs) sur sa capacité à continuer à générer autant de magie (voire de fanatisme chez certains Applemaniacs) dans les années à venir … Ce sera le challenge de Tim Cook de trouver sa propre voie sans perdre l’ADN de la marque !

  2. Chob  - 

    Bravo pour cet excellent article, que je lis ce matin à l’aune de l’annonce du décès de Steve Jobs.
    A la décharge d’Apple, je dirais que ceux qui ont descendu le 4S sont les mêmes influents qui ont passé des mois à annoncer le 5, à ergoter sur des vraies-fausses rumeurs plus dans un souci d’auto-promotion que d’information. Leur déception est à la hauteur de leur vexation… et de leur ridicule !

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